Depuis le 1er mai 2025, tous les navires naviguant en mer Méditerranée doivent respecter une teneur maximale de 0,1 % de soufre dans leur carburant, contre 0,5 % jusqu’à présent. Soit quand même pour les ferries, une teneur 10 fois au-dessus de la limite pour le diesel des véhicules qu’ils peuvent transporter. Cette nouvelle « zone SECA » (Sulphur Emission Control Area) s’inscrit dans la lutte contre la pollution atmosphérique liée au transport maritime et vise à protéger la santé des riverains et la richesse des écosystèmes côtiers.

Cependant, une dérogation permet aux armateurs de continuer à utiliser des fuels plus chargés en soufre, jusqu'à 0,5 % ou plus, s'ils équipent leurs navires de scrubbers (épurateurs de gaz d'échappement). Si cela semble une solution verte, elle cache un problème majeur : un transfert de pollution de l'atmosphère vers le milieu marin  En effet., l'utilisation des scrubbers en boucle ouverte (open-loop), utilisent de l'eau de mer pour "laver" les gaz d'échappement des moteurs. L'eau absorbe le soufre et d'autres contaminants (comme les métaux lourds, les hydrocarbures aromatiques polycycliques - PAH, et les particules de suie), réduisant ainsi les émissions dans l'air. Mais au lieu d'éliminer ces polluants, ils sont simplement redirigés : l'eau de lavage, maintenant acide et chargée de polluants, est rejetée directement en mer, souvent sans traitement adéquat. C'est ce qu'on appelle un "transfert de pollution" : on soulage l'atmosphère au prix d'une contamination accrue des océans.

Pourquoi la Méditerranée ?

La Méditerranée concentre l’un des trafics maritimes les plus intenses au monde, avec des pays riverains très peuplés et une fréquentation touristique élevée. Les polluants issus des moteurs marins, notamment les oxydes de soufre (SOₓ) et les particules fines (PM₂.₅), sont reconnus pour aggraver les maladies respiratoires et cardiovasculaires. Les associations dont France Nature Environnement, l’APE et nombre de citoyens ont donc fortement encouragé l’instauration d’une réglementation plus stricte.

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En 2023, plus de 106 700 navires de commerce naviguaient à travers le monde. Pour parcourir la planète, ils utilisent l’un des carburants les plus sales au monde, un résidu visqueux du pétrole, lourd et difficile à brûler. Ce pétrole « bunker » est ce qu’il reste une fois que les autres produits pétroliers – essence, naphta ou encore diesel – plus légers, ont été raffinés. Seul l’asphalte utilisé pour les routes est plus épais ! Lors de sa combustion, il émet un cocktail de polluants comme les oxydes de soufre et d’azote et autres particules fines mais aussi des gaz à effet de serre : du CO₂, du méthane (CH₄) et du protoxyde d’azote (N₂O), responsables du réchauffement climatique…. 

Une étude pilote pour convaincre

Sous l’égide de l’Ineris, associée au Citepa et au Cerema, la France a réalisé une étude de faisabilité technique et sanitaire pour mesurer l’intérêt d’une zone règlementant tous ces types de polluants (ECA) en Méditerranée. Les conclusions, rendues publiques début 2024, ont montré :

  • Des bénéfices pour la qualité de l’air déjà amorcés par la réduction mondiale du soufre de 3,5 % à 0,5 % en 2020.
  • Un gain sanitaire estimé entre 8,1 et 14 milliards d’euros par an pour l’ensemble du bassin, et le double des bénéfices par rapport à 2020.
  • Près de 1 730 de morts prématurées évitées chaque année grâce à la baisse des émissions de NO₂ et de particules fines.

Ces retombées profitent tant aux populations des grandes villes portuaires comme Marseille, Gênes, Barcelone mais aussi de moindre importance comme Toulon ainsi qu’à ceux des zones intérieures, souvent affectées par le transport des polluants.

Qu’est-ce qu’une zone ECA ?

Instituées par la convention MARPOL, les zones ECA imposent aux navires :

  1. Une teneur en soufre du carburant limitée à 0,1 % (contre 0,5 % hors ECA).
  2. La norme moteur Tier III pour réduire de 80 % les émissions d’oxydes d’azote (NOₓ) par rapport à 2000.

Tous les navires – qu’ils soient nationaux ou étrangers – doivent se conformer sous peine de contrôles et de sanctions internationales.

Mise en œuvre et contrôles

La création d’une zone SECA requiert l’accord de l’Organisation maritime internationale (OMI). Après le vote favorable du 78ᵉ Comité de protection du milieu marin (MEPC) en juin 2022, les États riverains ont déployé des dispositifs de surveillance :

  • Inspections dans les ports (port state control), en mer (rares mais possibles, via des patrouilles ou surveillance aérienne/drones), surtout si des soupçons de non-conformité émergent (ex. : fumées visibles ou rapports d'autres navires) et par les États du pavillon, pour vérifier la teneur en soufre des carburants.
  • Sanctions financières ou pénales en cas d’infraction.

Nombre d’armateurs, mais pas tous, ont anticipé ces obligations, adaptant leurs approvisionnements et modernisant leurs motorisations et malheureusement en équipant leurs navires de scrubbers dont la majorité (environ 80 %) est en boucle ouverte. D'autre part, un navire batant pavillon autre que méditerranéen et sans scrubber, en transit entre Suez et Gibraltar sans escale dans un port méditerranéen a donc un risque très faible d'être inspectés. Aussi en violation avec la règle il peut continuer à utiliser un fuel à 0,5% en soufre qu'il a approvisionné dans un port en dehors de la zone SECA sans "changeover" de fuel à 0,1% en soufre avant l'entrée en zone. Il existe une exemption locale en Turquie pour les navires en transit à travers les détroits turcs (Bosphore, Dardanelles, mer de Marmara) sans escale en port turc et sans dépasser 2 heures de mouillage où les navires peuvent utiliser du fuel à plus de 0,1 % de soufre.

Vers un élargissement à d’autres polluants ?

Si la réduction du soufre constitue un premier pas majeur, les discussions internationales portent désormais sur l’instauration d’une zone à faibles émissions de NOₓ . L’objectif : limiter encore davantage l’impact sanitaire et environnemental du transport maritime en Méditerranée.

Enjeux et perspectives

La création de cette zone SECA méditerranéenne sous la pression des associations de citoyens illustre le potentiel du biomimétisme réglementaire : en limitant les polluants à la source, on améliore directement la qualité de l’air et la santé publique. À plus long terme, ce dispositif doit s’accompagner :

  • D’incitations à l’usage de carburants de substitution, comme le gaz naturel liquéfié (GNL) ou l’hydrogène.
  • Du développement d’infrastructures portuaires « propres », capables de fournir de l’électricité à quai pour réduire la pollution des navires à l’arrêt.
  • De la poursuite de la recherche sur les technologies de réduction des émissions (piégeage du carbone, systèmes hybrides, etc.).

En s’inspirant des meilleures pratiques déjà en place en Manche–Mer du Nord, en Baltique ou en Amérique du Nord, la Méditerranée franchit une première étape décisive. Protéger notre « mer intérieure » n’est plus une option : c’est une urgence sanitaire et environnementale dont les bénéfices se mesureront sur plusieurs générations.

L’instauration d’une zone SECA est une première bataille de gagnée par nos associations mais d’autres sont en cours pour éliminer toutes les sources de pollutions maritimes avec la création d’une zone Neca avec la suppression des oxydes d'azote puis d’une zone Eca qui règlementera tous ces types de polluants. Mais les scrubbers "légalisés" dans la SECA Méditerranée pourraient aggraver les problèmes que nous combattons. Il est donc temps d'exiger une interdiction totale des scrubbers en boucle ouverte et une transition vers des carburants vraiment propres !

D'autres batailles sont en cours comme la généralisation de l’électrification des quais de la Seyne par exemple mais aussi l’interdiction des navires des croisiéristes avec scrubbers ou l’abandon des motorisations utilisant des combustibles fossiles dont le développement va à contresens de l’histoire pour viser le « zéro carbone » d’ici à 2050…

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