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La revue Mer et Marine a publié le 29 septembre 2023 un article en accès libre sur le Valiant Lady de la compagnie Virgin Voyages battant pavillon des Bahamas poétiquement intitulé « Quand le paquebot Valiant Lady enveloppe la rade de Toulon d’un nuage de vapeur » où leur journaliste semble découvrir le panache extravagant de ce navire. Il était temps, puisqu’en mai 2022, Mer et Marine avait consacré un article dithyrambique sur ce navire intitulé « A la découverte du Valiant Lady ».

Le Valiant Lady d’une jauge brute d’environ 110 000 tonnes, d’une longueur de 278 mètres et d’une largeur de 38 mètres a été conçu pour accueillir 2 770 passagers et 1 160 membres d’équipage. Le 18 mars 2022, le Valiant Lady basé à Portsmouth a appareillé pour sa première croisière vers Zeebrugge. À partir de mai 2022, le Valiant Lady a été repositionné à Barcelone pour des séries de croisières de 7 jours en Méditerranée occidentale intitulées « The Irresistible Med », rien que ça.

Dans la même veine rassurante que l’article de mai 2022, le journaliste persiste « Dans le cas du Valiant Lady, pas de pollution particulière, ce spectaculaire dégagement étant provoqué par la vapeur d’eau issue des systèmes de lavage des fumées (scrubbers) dont le navire est équipé afin d’éliminer les oxydes de soufre générés par la combustion du carburant dans ses moteurs ».

Circulez bonnes gens, une aubaine en période de sécheresse, soyez donc rassurés ce sont des rejets de vapeur d’eau. Vraiment ?

Ce journaliste doit avoir connaissance de données de mesure de la qualité de l’air très précises et complètes pour affirmer qu’il n’y a pas de « pollution particulière ». Nous n’avons pas ses mêmes certitudes quant à l’absence de pollution car, depuis sa première escale à Toulon le lundi 16 mai 2022, nous observons les rejets de différentes couleurs de ce navire dans notre ciel et nos articles dénoncent ses escales pour différentes raisons (voir nos posts en tapant « Valiant Lady » dans la zone de recherche).

z01a Valiant Lady 220516 Toulon à quai z02 Valiant Lady 220627 DSC02499 z03 Valiant Lady 220822 Oxyde de soufre et vapeur d'eau DSC02951 z04 Valiant Lady 220627 Taille cheminée Homme Lavage DSC02484

Le panache de rejet du Valiant Lady est proportionnel à ses dimensions et sa présence constante à chacune de ses escales toulonnaises dès 2022 (Photographies des 16 mai, 30 mai, 27 juin et 22 août 2022).

La taille des cheminées et donc du diamètre des panaches des rejets peut mieux s’apprécier en les comparant à la taille des marins les nettoyant... de la suie déposée sur leurs parois. La décoloration de la peinture à la base des cheminées sous la forme de bavures, est-elle due à une attaque chimique par les acides sulfurique et sulfureux des rejets ?  

D’après les informations disponibles sur internet, le Valiant Lady est équipé d’épurateurs à l'eau de mer hybrides des gaz d’échappement de ses moteurs (appelés scrubbers en anglais, voir l’encadré) afin de réduire les rejets d’oxyde de soufre dans l’air. Aucune indication n’est disponible sur le modèle des équipements du Valiant Lady mais leur efficacité est variable suivant les systèmes et leur mode de fonctionnement. Généralement l’objectif est de réduire de 90% les rejets en oxyde de soufre mais la liste est longue des problèmes de fonctionnement qui peuvent réduire l’efficacité de ces épurateurs.

D’ailleurs, l’article de Mer et Marine pourtant rassurant indique « qu’un spécialiste de la chose, à qui nous avons montré les images illustrant cet article. Il pense cependant qu’avec un tel panache, les scrubbers du paquebot sont peut-être mal réglés, ajoutant que « si le scrubber fonctionne bien, panache visible ou pas, il ne doit pas rester d’oxydes de soufre ».

Ben voyons, les épurateurs du Valiant Lady ont du être mal réglés dès l’origine. En réalité, même si leur efficacité était de 90%, lorsqu’ils sont en fonctionnement, c’est donc de l’ordre de 10% d’oxydes de soufre des gaz d’échappement qui est rejeté dans l’atmosphère, qui réagit avec l’eau et la vapeur d’eau pour former des acides sulfureux et sulfurique. Lorsque les volumes de gaz d’échappement sont importants comme dans le cas du Valiant Lady, ce n’est donc plus négligeable surtout lorsque ces polluants se dispersent au-dessus d’une ville comme Toulon.

z05 Valiant Lady 220822 Oxyde de soufre et vapeur d'eau DSC02945 z06 Valiant Lady 220822 Oxyde de soufre et vapeur d'eau DSC02986 z07 Valiant Lady 220822 Oxyde de soufre DSC02998

Le panache de rejet du Valiant Lady change de couleur en fonction du fonctionnement des épurateurs. Lorsqu’ils ne sont pas en fonction, le panache de rejet change de couleur teinté par les oxydes de soufre en particulier et par les autres polluants. Ainsi, le panache du Valiant Lady se teinte en sortie de rade immédiatement après l’arrêt du circuit fermé des épurateurs et les gaz et particules se dispersent pour se mélanger dans l’atmosphère avec ceux du Mega Regina de la Corsica Ferries, polluant l’air que nous respirons (Photographies prises le 22 aout 2022).

Le Vaillant Lady serait également équipé d’un équipé d'un système de réduction catalytique sélective qui peut réduire les émissions gazeuses d'oxydes d'azote en les combinant sous forme de nitrates. Mais là, aucune information n’est disponible. Autre petit oubli, l’article ne mentionne pas les rejets des gaz à effet de serre comme le dioxyde de carbone émis en énorme quantités par les moteurs de ce navire, etc.

Quant à l’impact sur l’environnement marin des rejets d’eau de lavage des épurateurs, le journaliste n’aborde pas le sujet. Pourtant, pour le dire simplement, les épurateurs convertissent simplement la plus grosse partie de la pollution de l’air en pollution toxique de l’eau de mer et donc de la flore et de la faune marines en rejetant en mer les eaux de lavage acide et contaminées par des concentrations élevées de zinc, vanadium, cuivre, nickel, phénanthrène, naphtalène, fluorène et fluoranthène et autres hydrocarbures aromatiques polycycliques...

Quoi qu’il en soit, soyez donc rassuré puisque l’expert du journaliste est capable de détecter l’absence de tout polluant à la vue des photographies. Pour nous, des résultats de mesures des différents polluants susceptibles d’être présents dans le panache des fumées du Valiant Lady auraient été plus convaincants.

En 2022, une station AtmoSud de contrôle de la qualité de l’air n’a jamais rien détecté, même pas les rejets des navires de la Corsica Ferries. Pas étonnant en réalité, la station était installée sur le quai à proximité et quasiment au pied du navire, le panache de rejet des cheminées du Valiant Lady est passé largement au-dessus de ses prises d’air pour les mesures. On aurait voulu le faire exprès pour ne rien détecter qu’on n’aurait pas fait mieux !

z08 Valiant Lady 220627Station Atmosud DSC02499 z09 Valiant Lady 230703 Panache immeuble 02306813

Le panache de rejet des cheminées du Valiant Lady se disperse bien au-dessus de la station AtmoSud et de ses capteurs de contrôle de la qualité de l’air installée à proximité du navire (Photographie du 22 juin 2022).  En revanche, le panache du Valiant Lady est rejeté à une hauteur qui ne laisse aucun doute quant à sa dispersion au niveau des étages les plus hauts des immeubles situés à proximité des quais (Photographie du 3 juillet 2023).

Des mesures d’aérosols de différentes tailles et de polluants sont réalisées dans la cadre du projet Capt’air citoyen soutenu par France Nature Environnement et l’association ActEnergies avec l’installation de capteurs citoyens multipliant le nombre de points de mesure et qui peuvent en revanche fournir des résultats intéressants quant à l’évolution de la qualité de l’air.

Ainsi, par exemple lors de sa dernière escale à Toulon, comme à son habitude le panache du Valiant Lady « enveloppait la rade de Toulon », en réalité il se dispersait au-dessus de la ville (voir notre post 25 septembre : Un lundi comme les autres, bien pollué ! ICI). Les résultats des mesures de particules au cours du temps de ces capteurs citoyens montrent une augmentation de la masse volumique des particules synchrone avec l’arrivée du Valiant Lady et de ses rejets bien visibles dans l’atmosphère pendant plus d’une heure après son arrivée à quai.

xStations capteurs citoyens

Les évolutions au cours du temps de la masse volumique des aérosols de diamètre de 10 µm, 2,5 µm et 1 µm exprimés en µg/m3 mesurée par différents capteurs « citoyens » montrent des augmentations significatives synchrones avec le passage du Valiant Lady devant la presqu’ile de Saint-Mandrier vers 8h00 (Capteur nebuleair N°18 avec un pic des particules PM10 à près de 12 µg/m3 à 8h11) et son arrivée à quai vers 9h00 à Toulon avec son panache bien visible jusqu’à près de 11h00 au-dessus de la ville (Capteur nebuleair N°14 avec un pic des particules PM10 à près de 23 µg/m3 à 9h28 qui décroit progressivement jusqu’à midi).

Et pour l’avenir ?

Et bien le Valiant Lady, après deux dernières escales à Toulon les 9 et 23 octobre 2023, va nous quitter fin 2023 pour les eaux des caraïbes où il devrait naviguer en 2024. Mais ne vous inquiétez pas il sera remplacé par le Scarlet Lady son ainé qui lui est identique et qui reprendra le flambeau des croisières de 7 jours « The Irresistible Med » à partir du 5 mai 2024…

Et ce que ne vous a pas dit le journaliste de Mer et marine, c’est que le Valiant Lady et le Scarlet Lady, navires très récents, ne sont pas équipés de système de branchement électrique à quai, alors vous pourrez toujours admirer leur panache qui enveloppera la rade de Toulon et pénétrera dans vos poumons !

Cependant, une bonne nouvelle, la dernière réunion du Comité de protection du milieu marin de l’OMI (MEPC 78) a approuvé la circulaire sur les lignes directrices 2022 pour les évaluations des risques et des impacts des eaux rejetées des systèmes d'épuration des gaz d'échappement. Cette circulaire fournit les informations sur la méthodologie recommandée pour les évaluations des risques et des impacts que les États membres devraient suivre lors de l'examen des réglementations locales ou régionales visant à protéger les eaux/l'environnement sensibles contre les eaux de lavage des épurateurs de gaz d’échappement. Attention, modérez votre enthousiasme car reste à savoir quand elle sera appliquée en France et dans la zone SECA promise en 2025 pour la Méditerranée… (voir notre post).

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Si vous voulez un autre avenir pour notre métropole, faites le savoir en signant la pétition

« STOP CROISIERES GRANDE RADE DE TOULON », ICI

 

 z11 Valiant Lady 220627 Cuvervill DSC02441Même Cuverville le montre du doigt …

L'épuration à l'eau de mer est une technique de purification des gaz de combustions issus des moteurs des navires. Les gaz d'échappement sont introduits dans une cuve où ils sont aspergés par des jets d'eau de mer qui captent par absorption une grande partie des oxydes de soufre acidifiants. L’efficacité d’élimination des oxydes est généralement de l’ordre de 90%. Cependant, le processus nécessite de très grands volumes d’eau (environ 500 m3/h pour un équipement de taille moyenne), eau qui ressort fortement acidifiée (pH3) et contaminée par les autres polluants présents dans les combustibles marins et qui accompagnent l’oxyde de soufre au sein des gaz d’échappement. Il existe actuellement trois types différents d'épurateurs ; boucle ouverte, boucle fermée et système hybride.

Dans les variantes hybrides des épurateurs, les eaux de lavage recueillies dans des cuves en fonctionnement « fermé » peuvent être évacuées dans des installations de traitement à terre ou rejetées en mer en dehors des ports. Cependant, la plupart des systèmes dits « fermés » rejette également une quantité importante d'eau de lavage en mer, certes dans des en volumes inférieurs à ceux des systèmes ouverts, mais avec des concentrations de polluants nettement plus élevées. En effet suivant leur mode de fonctionnement, les quantités des éléments polluants présents dans les gaz de combustion émissions de substances sont simplement plus ou moins diluées/concentrées avant rejets, elles ne disparaissent donc pas.

L'utilisation d’épurateurs est en hausse pour les nouveaux navires ou en « Retrofit » pour les navires existants car c’est une alternative bon marché au respect des nouvelles règles entrées en vigueur le 1er janvier 2020 de l'Organisation maritime internationale (OMI) plus strictes sur la teneur en soufre des émissions des navires et donc des carburants marins utilisés. Ces épurateurs permettent aux armateurs de continuer à utiliser les combustibles marins les moins chers mais aussi les plus polluants en respectant la réglementation..