Le 9 février, annonçant la tenue du One Ocean Summit à Brest, le Président de la République assure que c’est le moment « de relever le niveau de la communauté internationale sur les sujets maritimes… One Ocean Summit aue la France accueillera pour mobiliser, agir concrètement chacune et chacun à notre niveau… Ce sommet montrera qu’il est non seulement possible d’agir mais que nous avons pris la mesure de l’urgence pour renverser la tendance… Alors engageons-nous tous ensemble sans attendre pour l’océan, pour notre océan, notre bien commun ».

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Cependant, après un quinquennat d’incohérence entre les discours et les actes… on sature. Et les océans aussi. Un dernier exemple récent parmi tant d’autres, celui des pollutions générées par les ferries, paquebots et navires de transport de marchandises dont le nombre semble croitre sans limite.

Aussi, la réduction des émissions atmosphériques polluantes en oxydes de soufre (SOx) et d’azote (NOx) provenant des gaz d’échappement de tous ces navires est au cœur des enjeux de la transition écologique et des combats de nombreuses associations de protection.

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Photo : Emissions polluantes dans l’atmosphère des ferries en rade de Toulon (13 Juin 2021)

Certes, depuis 2005, la teneur en soufre des combustibles pouvant être utilisés par les navires a été progressivement réduite, passant de 4,5 % à 0,5 % en 2020 dans nos ports méditerranéens (voir notre post 1er janvier 2020 : Le fuel lourd est mort ! Vive le fuel lourd avec scrubber ![1]). Aussi, pour continuer à utiliser du fioul lourd à 4,5 % moins cher que celui à 0,5%, un grand nombre d’armateurs ont équipé leurs navires de systèmes d'épuration des gaz d'échappement (EGCS) encore appelés scrubbers.

Le scrubber est un dispositif installé dans les navires pour laver les fumées d’échappement des moteurs. Les fumées y sont mises en contact avec de l’eau qui absorbe les polluants gazeux qu’elles contiennent. Les fumées lavées sont ensuite rejetées dans l’atmosphère. L’eau polluée est soit rejetée directement en mer pour les scrubbers à boucle ouverte, soit stockée pour être traitée à terre pour les scrubbers en boucle fermée.

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Photo : Traces des émissions polluantes dans les eaux de surface au niveau de la passe de la rade de Toulon après la sortie d’un navire devant les plages du Canon et du Rotary…

Ainsi, de 2017 à 2020, le nombre de navires équipés de scrubber a été multiplié par 10 en trois ans pour atteindre 4 000 navires pouvant continuer à utiliser du fioul lourd à 4,5 % qui représentait encore 70% de la consommation totale de carburant dans le transport maritime mondial en 2020.

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Evolution de 2008 à 2020 du nombre de navire équipés de scrubber (Source : International Council on Clean Transportation https://theicct.org/publications/air-water-pollution-scrubbers-2020).

Malheureusement, de l’ordre de 80 % des scrubbers nouvellement installés sont à boucle ouverte tandis que 16 % sont hybrides permettant aux navires de fonctionner à la fois en boucle ouverte et en boucle fermée. Conséquence pour l’environnement, s’il y moins de rejets dans l’atmosphère de particules de SOx et Nox, par contre les rejets liquides en mer de ces polluants explosent en particulier dans les espaces littoraux ou portuaires où l’augmentation des concentrations des polluants altèrent sévèrement les écosystèmes marins. Ainsi, des effets immédiats ont été observés avec l’augmentation de la mortalité du plancton de même que des effets à plus long terme liés à la bioaccumulation, à l’acidification et à l’eutrophisation des polluants sur la biodiversité.

Aussi, suite aux alarmes émises par les scientifiques puis aux débats des différentes parties prenantes au sein de l’Organisation maritime internationale, la France a promulgué l’Arrêté du 22 septembre 2021 concernant l’interdiction des rejets des eaux de lavage des scrubbers dans la bande littorale des 3 milles nautiques et dans les eaux portuaires, arrêté qui est entré en application à compter du 1er janvier 2022 conformément à l’alinéa 5 de l'article 213-6.04 de l’arrêté 23 novembre 1987 relatif à la sécurité des navires.

A noter que Singapour, la Chine, l'Inde, la Belgique, l'Allemagne, la Lituanie, la Lettonie, l'Irlande, la Norvège et certains états des États-Unis appliquent cette interdiction depuis 2020 dans les zones de contrôle des émissions couvrant leurs eaux intérieures et la majeure partie de leur littoral.

Aujourd’hui par contre, aucune réglementation interdit le rejet en haute mer des eaux de lavage issus du fonctionnement des scrubbers !

A noter également que le Vice-président de la Métropole de Toulon Provence Méditerranée en charge de l'environnement, ancien salarié de la CNIM, en réponse à notre inquiétude sur les émissions des polluants par les navires, considérait encore très récemment les scrubbers produits par la défunte CNIM comme une solution pour réduire la pollution environnementale (Var-Matin du 11 Jun 2018).

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Extrait à la date de cette publication de la carte des « Réglementation mondiale sur les émissions marines de SOx » des pays et des ports, carte établie par l’Exhaust Gas Cleaning System Association (Source consulté le 15 février 2022 : https://www.egcsa.com/map-regulations/)

Tous les ports doivent aligner leur règlementation sur l’interdiction des rejets des eaux de lavage des scrubbers dans la bande littorale des 3 milles nautiques et dans les eaux portuaires mais la consultation de la carte fournit par l’Exhaust Gas Cleaning System Association (EGCSA), montre que le port de Toulon ne semble pas avoir pris de règlement particulier à ce sujet.

De plus, la vigilance est toujours de mise car le même Arrêté du 22 septembre 2021 relatif à la sécurité des navires précise en outre que « A titre transitoire, l'administration française peut accorder à un navire existant, effectuant des voyages réguliers entre deux ports, une exemption dont la durée de validité doit être limitée au strict minimum et ne peut excéder le 1er janvier 2026. La demande d'exemption doit démontrer l'impossibilité de se conformer à cette règle et indiquer la ou les solution (s) de mise en conformité retenue (s) et leur date prévisionnelle de mise en œuvre. »

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Photo : Ferry Corsica linea au large de la presqu’ile.

Ainsi, la compagnie Corsica Linea a déposé et obtenu des dérogations pour 5 de ses navires dont le Pascal Loti qui accoste régulièrement à Toulon. Compte tenu de l’effectif limité d’inspecteurs de la sécurité des navires du ministère de la Mer chargé du contrôle de l’application de cette réglementation, l’APE suivra avec les autres associations le respect de cette réglementation.

Malgré ce dernier développement de la réglementation, les scrubbers, à système ouvert ou fermé, restent toujours la solution avec le meilleur retour sur investissement très rapide pour les armateurs pour continuer à utiliser du fioul lourd. Pourtant, les conséquences de l’utilisation de ce combustible polluant sont néfastes pour l’environnement en particulier le rejet en haute mer des eaux de lavage issues des scrubbers. La seule solution est l’utilisation par les navires de carburants alternatifs décarbonés. Les armateurs de navires doivent donc s’engager dans cette voie qui s’inscrit dans la transition énergétique. 

L’APE continuera à agir à côté des autres associations pour lutter contre la pollution de l’air et des mers occasionnée par les navires et a donc besoin, ici encore et plus que jamais, de votre soutien pour préserver l’environnement.

 Pour en savoir plus :

 

[1] https://www.ape83430.fr/pollutions/719-1er-janvier-2020-le-fuel-lourd-est-mort-vive-le-fuel-lourd-avec-scrubber