Ce lundi matin, les tronçonneuses et les pelleteuses ont investi le site de Pin Rolland. Les engins se sont mis au travail pour abattre et déraciner les arbres, marquant le début du chantier de construction des 257 logements et 374 stationnements autorisés par la commune.

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Le site, ancienne friche agricole, dépourvue de toute habitation et activité humaine, a été recolonisé depuis 25 ans par la végétation et la faune. Les arbres, de diverses essences indigènes, y ont évidemment prospéré sans aucune aide de l’homme alors qu’en même temps on nous demande d’arroser des plantations dans la colline...

Malgré nos demandes répétées de respecter le Plan local d’urbanisme voté par cette même municipalité en 2017, les inventaires floristique et faunistique de ce site n’ont jamais été réalisés alors qu’ils étaient requis dans ce PLU qui mentionne la présence d’espèces protégées.

Le monde d’hier se perpétue, toujours la même façon de procéder : Pas d’information, pas de donnée, donc pas de problème puisqu’ainsi nous ne saurons jamais qu’elles sont les espèces protégées qui seront détruites sur le site.

Les décideurs de notre commune, figés dans une attitude anachronique, nous imposent un étalement urbain au dépend de notre environnement et de notre qualité de vie. En mars 1968, il y a plus de 53 ans, Romain Gary écrivait sa lettre à l’éléphant (Extraits)

Monsieur et cher éléphant,

… À mes yeux, monsieur et cher éléphant, vous représentez à la perfection tout ce qui est aujourd’hui menacé d’extinction au nom du progrès, de l’efficacité, du matérialisme intégral, d’une idéologie ou même de la raison car un certain usage abstrait et inhumain de la raison et de la logique se fait de plus en plus le complice de notre folie meurtrière. Il semble évident aujourd’hui que nous nous sommes comportés tout simplement envers d’autres espèces, et la vôtre en particulier, comme nous sommes sur le point de le faire envers nous-mêmes…

Mais à tous ceux parmi nous qu’écœurent nos villes polluées et nos pensées plus polluées encore, votre colossale présence, votre survie, contre vents et marées, agissent comme un message rassurant. Tout n’est pas encore perdu, le dernier espoir de liberté ne s’est pas encore complètement évanoui de cette terre, et qui sait ? si nous cessons de détruire les éléphants et les empêchons de disparaître, peut-être réussirons-nous également à protéger notre propre espèce contre nos entreprises d’extermination.

Si l’homme se montre capable de respect envers la vie sous la forme la plus formidable et la plus encombrante — allons, allons, ne secouez pas vos oreilles et ne levez pas votre trompe avec colère, je n’avais pas l’intention de vous froisser — alors demeure une chance pour que la Chine ne soit pas l’annonce de l’avenir qui nous attend, mais pour que l’individu, cet autre monstre préhistorique encombrant et maladroit, parvienne d’une manière ou d’une autre à survivre…

Au cours de milliers d’années, on vous a chassé pour votre viande et votre ivoire, mais c’est l’homme civilisé qui a eu l’idée de vous tuer pour son plaisir et faire de vous un trophée. Tout ce qu’il y a en nous d’effroi, de frustration, de faiblesse et d’incertitude semble trouver quelque réconfort névrotique à tuer la plus puissante de toutes les créatures terrestres. Cet acte gratuit nous procure ce genre d’assurance « virile » qui jette une lumière étrange sur la nature de notre virilité.

Il y a des gens qui, bien sûr, affirment que vous ne servez à rien, que vous ruinez les récoltes dans un pays où sévit la famine, que l’humanité a déjà assez de problèmes de survie dont elle doit s’occuper sans aller encore se charger de celui des éléphants. En fait, ils soutiennent que vous êtes un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre.

C’est exactement le genre d’arguments qu’utilisent les régimes totalitaires, de Staline à Mao, en passant par Hitler, pour démontrer qu’une société vraiment rationnelle ne peut se permettre le luxe de la liberté individuelle. Les droits de l’homme sont, eux aussi, des espèces d’éléphants. Le droit d’être d’un avis contraire, de penser librement, le droit de résister au pouvoir et de le contester, ce sont là des valeurs qu’on peut très facilement juguler et réprimer au nom du rendement, de l’efficacité, des « intérêts supérieurs » et du rationalisme intégral

Pour moi, je sens profondément que le sort de l’homme, et sa dignité, sont en jeu chaque fois que nos splendeurs naturelles, océans, forêts ou éléphants, sont menacées de destruction

 Mais laissez-moi vous dire ceci, mon vieil ami : dans un monde entièrement fait pour l’homme, il se pourrait bien qu’il n’y eût pas non plus place pour l’homme. Tout ce qui restera de nous, ce seront des robots…

Nous tuerons le grand éléphant
Nous mangerons le grand éléphant
Nous entrerons dans son ventre
Mangerons son cœur et son foie…
(..) Croyez-moi votre ami bien dévoué.

Romain Gary

Le figaro Littéraire, Mars 1968.

Afrique du Sud Parc Kruger

Pour en savoir plus :

Texte intégral de la lettre à l’éléphant publié par Le figaro Littéraire, Mars 1968.

 

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