Le pape François pour des raisons de santé n’a pas participé à la COP28 où il devait se rendre en tant que chef d’état à l’invitation du président des Émirats arabes unis. Aussi nos vous proposons une analyse du dernier texte publié par le Pape François qui fait appel à toutes les personnes de bonne volonté en lien avec la crise climatique et la COP28. Cette analyse est nous a été proposée par Dominique S. que nous remercions. Bonne lecture.

Dans un nouveau texte intitulé Laudate Deum, publié le 4 octobre, fête de saint François d'Assise, c’est plus qu’un coup de gueule, bien davantage qu’un cri d’alerte, c’est une « exhortation » que le Pape François adresse non-seulement aux participants à la COP28, aux catholiques mais au monde entier. Face à l’urgence climatique, il y développe une analyse rigoureuse et concrète de la crise écologique, de ses causes avérées à ses effets désastreux, la portant avec simplicité vers le plus grand nombre d’humains, en prenant ancrage dans les données scientifiques les plus actuelles.

Ce plaidoyer, court et facile à lire, développe un argumentaire à partir d’une analyse principalement scientifique, qui aboutit à une mise en accusation des responsables de tous bords, qu’ils soient politiques, économiques, sociaux, religieux, dont l’incapacité actuelle majeure est de prendre à bras le corps la recherche de vraies solutions à cette crise.

Reprenant nombre de points développés dans l’encyclique Laudato si', publiée il y a maintenant déjà huit ans, il exhorte « toutes les personnes de bonne volonté » d’agir face aux effets du réchauffement climatique. Pourtant, moins éthique ou religieuse que le texte précédent, cette exhortation à agir dans une situation critique à l’immense mérite d’exposer de façon très compréhensible le champ global de la réalité du problème.

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A cet effet, le pape nous propose un cheminement qui démarre par le constat sans nuances des dangers qui menacent « la sauvegarde de la Maison commune », affirmant que « nos réactions sont insuffisantes alors que le monde qui nous accueille s’effrite et s’approche peut-être d’un point de rupture ». Il précise que « nous avons beau essayer de les nier, de les cacher, de les dissimuler ou de les relativiser, les signes du changement climatique sont là, toujours plus évidents ». Il insiste, « il est vérifiable que certains changements climatiques provoqués par l’humanité augmentent considérablement la probabilité d’événements extrêmes de plus en plus fréquents et intenses ». Tout en illustrant ces propos par de nombreux exemples, il souligne fortement que c’est là « un problème social global qui est intimement lié à la dignité de la vie humaine »

Il analyse les résistances, apporte la contradiction à ceux qui œuvrent à « atténuer le changement climatique », ou à émettre « certains diagnostics apocalyptiques qui semblent souvent peu rationnels ou insuffisamment fondés ». Il développe alors tout un chapitre sur les causes humaines avérées. « Nous ne pouvons plus douter que la cause de la rapidité inhabituelle de ces changements dangereux est un fait indéniable : les énormes changements liés à l’intervention effrénée de l’homme sur la nature au cours des deux derniers siècles ». Devant les risques, et la responsabilité enfin reconnue de ne « pouvoir arrêter le processus déjà commencé », il propose d’adopter une « vision plus large » qui définit sa conviction : « Il ne nous est rien demandé de plus qu’une certaine responsabilité face à l’héritage que nous laisserons de notre passage en ce monde ». Comment assumer cette responsabilité ?

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Ce sont les « capacités accrues de la technologie » qui sont interrogées. Elles donnent souvent « à ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur le monde entier. Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira bien, surtout si l’on considère la manière dont elle est en train de l’utiliser ».

 La critique du paradigme technocratique exposé ici est sévère : C’est « comme si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du pouvoir technologique et économique lui-même ». Or « nous affirmons que le monde qui nous entoure n’est pas un objet d’exploitation, d’utilisation débridée, d’ambitions illimités, et que la logique du profit maximum au moindre coût, déguisée en rationalité, en progrès et en promesses illusoires, rend impossible tout souci sincère de la Maison commune ».

De plus, la nature ne peut être qu’un « simple cadre où nous développerions nos vies et nos projets », car « nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle, de sorte que le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur ». Se pose alors la question du pouvoir humain, de sa signification et de ses limites. Il est temps de reconnaitre que « notre pouvoir et le progrès que nous générons se retournent contre nous-mêmes ».

 A la suite du constat, le Pape aborde le thème de la faiblesse de la politique internationale à gérer la crise. Il insiste sur la nécessité de développer les accords multilatéraux entre États, seuls susceptibles de constituer « des organisations mondiales plus efficaces, dotées d’autorité pour assurer le bien commun mondial, l’éradication de la faim et de la misère ainsi qu’une réelle défense des droits humains fondamentaux ». Il considère en particulier que l’efficacité recherchée du multilatéralisme viendra d’une mondialisation maîtrisée, de mécanismes nouveaux s’appuyant sur des règles globales, sur « l’initiation d’un nouveau processus de prise de décisions et de légitimation de celles-ci ». Des « espaces de conversation, de consultation, d’arbitrage, de résolution des conflits et de supervision sont nécessaires, bref, une sorte de plus grande démocratisation dans la sphère mondiale pour exprimer et intégrer les différentes situations. Il n’est pas utile de soutenir des institutions dans le but (de) préserver les droits des plus forts sans se préoccuper des droits de tous ».

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Annonçant l’importance des décisions qui devraient conclure la COP 28 et son propre engagement, le pape procède à une étude fine des progrès et échecs des conférences sur le climat.  Reprenant l’historique de ces rendez-vous depuis la conférence de Rio de Janeiro en 1992 jusqu’à la COP 27 de Sharm El Sheikh, c’est à une analyse sans concessions à laquelle nous sommes invités, entre progrès et entraves. Elle nous conduit vers un nouveau constat critique : « Aujourd’hui, nous pouvons continuer à affirmer que les accords n’ont été que peu mis en œuvre parce qu’aucun mécanisme adéquat de contrôle, de révision périodique et de sanction en cas de manquement, n’a été établi. Les principes énoncés demandent encore des moyens, efficaces et souples, de mise en œuvre pratique. En outre, les négociations internationales ne peuvent pas avancer de manière significative en raison de la position des pays qui mettent leurs intérêts nationaux au-dessus du bien commun général. Ceux qui souffriront des conséquences que nous tentons de dissimuler rappelleront ce manque de conscience et de responsabilité ».

Ce diagnostic conduit le pape à préciser sa pensée : « Si l’on veut sincèrement que la COP28 soit historique, qu’elle nous honore et nous ennoblisse en tant qu’êtres humains, on ne peut qu’attendre des formes contraignantes de transition énergétique qui présentent trois caractéristiques : efficaces, contraignantes et facilement contrôlables ; cela pour parvenir à initier un nouveau processus radical, intense et qui compte sur l’engagement de tous. Cela n’est pas advenu sur le chemin parcouru jusqu’à présent, mais ce n’est que par un tel processus que la crédibilité de la politique internationale pourra être rétablie, car ce n’est que de cette manière concrète qu’il sera possible de réduire notablement le dioxyde de carbone et éviter à temps les pires maux. »

Aussi « espérons que ceux qui interviendront seront des stratèges capables de penser au bien commun et à l’avenir de leurs enfants, plutôt qu’aux intérêts circonstanciels de certains pays ou entreprises. Puissent-ils montrer ainsi la noblesse de la politique et non sa honte. Aux puissants, j’ose répéter cette question :  Pourquoi veut-on préserver aujourd’hui un pouvoir qui laissera le souvenir de son incapacité à intervenir lorsqu’il était urgent et nécessaire de le faire ? ».

Mais « dire qu’il n’y a rien d’autre à espérer serait un acte suicidaire qui conduirait à exposer toute l’humanité, en particulier les plus pauvres, aux pires impacts du changement climatique ». En mai 2015, l’encyclique « Sauvegarde de la maison commune » avait été publiée quelques semaines avant la COP 21 de Paris, l’exhortation d’aujourd’hui a précédé de deux mois la COP 28 de Dubaï.

Le pape François pour des raisons de santé ne s’est pas rendu comme prévu du 1er au 3 décembre 2023 à la COP28 à l’invitation du président des Émirats arabes unis. Si la présidence de cette conférence est assurée par l’émirati Sultan Al  Jaber,  PDG de la compagnie pétrolière nationale Adnoc (qui annonce vouloir continuer à augmenter sa production pétrolière !), c’est comme chef d’état que le pape apporte cette contribution sans concession avec la conviction de participer utilement aux travaux qui devraient conduire à une accélération de la transition énergétique avec des engagements fermes et suivis, validés par un maximum de contributeurs, y compris dans les pays émergents.