À Nice, lors de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC 3), les États ont multiplié les déclarations en faveur de la protection des océans et de la biodiversité marine. Mais derrière les discours, les actes peinent à suivre. La conférence est terminée, c’est le moment du débrief…
L’exploitation minière des grands fonds : entre belles paroles et inertie politique
Alors que la majorité des scientifiques appellent à un moratoire sur l’exploitation minière des grands fonds, certains pays soutiennent encore cette industrie en coulisses. Exemple frappant : la société canadienne The Metals Company (TMC), en partenariat avec l’État insulaire de Nauru, prévoit de lancer la première exploitation commerciale dès 2025, malgré l’absence de cadre réglementaire. Plus encore, les États-Unis, qui ne sont pas membres de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), ont récemment autorisé unilatéralement l’exploitation des ressources en eaux internationales via un décret présidentiel signé par Donald Trump en avril 2025.
« Aucun État n'a le droit d'exploiter unilatéralement les ressources des grands fonds marins en dehors du cadre juridique international. » Leticia Carvalho, secrétaire générale de l’Autorité internationale des fonds marins
Ces décisions vont à l’encontre des principes défendus à l’ONU et affaiblissent la crédibilité des engagements pris. Pour éviter que les grands fonds ne deviennent le nouveau Far West industriel, il est urgent de transformer les promesses en règles contraignantes et actions concrètes.
Aires marines protégées : l’écart entre la carte et le terrain
À l’UNOC 3, les États ont réaffirmé leur engagement à protéger 30 % des océans d’ici 2030. Mais derrière cet objectif ambitieux, la réalité est tout autre : de nombreuses aires marines dites « protégées » restent ouvertes à des activités industrielles comme le chalutage de fond, l’extraction pétrolière ou la pêche intensive.
- 17 % de l’océan mondial est actuellement classé en aires marines protégées (AMP)… Mais seulement 3 % sont réellement protégés de manière stricte (source : Global Ocean Alliance).
- En Méditerranée, plus de 90 % des AMP autorisent encore la pêche industrielle, dont le chalutage de fond.
- Certaines AMP abritent encore des forages pétroliers, comme dans l’Atlantique Nord ou au large de l’Afrique de l’Ouest.
Ce décalage entre les mots et les actions mine la crédibilité des engagements internationaux. Protéger vraiment, ce n’est pas tracer des lignes sur une carte : c’est interdire les activités destructrices, renforcer la surveillance et garantir des financements durables.
Protéger 30 % des océans d’ici 2030, oui mais pas à n’importe quelles conditions. Une AMP sans règles ni contrôle, ce n’est pas une aire protégée, c’est une illusion.
Silence gênant sur le chalutage profond
Lors de l’UNOC 3, de nombreux États ont réaffirmé leur volonté de protéger la biodiversité marine. Pourtant, un sujet majeur a été largement évité : celui du chalutage de fond.
Cette pratique, l’une des plus destructrices pour les écosystèmes marins, continue d’être autorisée dans de nombreuses zones, y compris dans certaines aires marines protégées. Alors que les scientifiques alertent depuis des années sur ses impacts, destruction des habitats, rejets massifs de CO₂, perturbation des chaînes alimentaires, aucune avancée concrète n’a été actée à Nice.
Une fois de plus, le fossé entre les ambitions affichées et les décisions prises interroge : comment prétendre protéger l’océan tout en tolérant une industrie qui le rase au bulldozer ?
Croisiéristes bienvenus, océans en souffrance
Ironie amère à Nice, hôte de l’UNOC 3 : pendant que les dirigeants du monde discutaient de la protection des océans, les paquebots de croisière continuaient d’accoster à quelques centaines de mètres de la conférence.
L’industrie des croisières est pourtant l’une des plus polluantes : émissions massives de CO₂, SO2 et de particules fines, eaux usées rejetées en mer, pollution sonore qui perturbe la faune marine… et une empreinte touristique qui fragilise les littoraux.
Le contraste entre les engagements pour « sauver l’océan » et l’accueil sans conditions de ces géants des mers en dit long : sans volonté politique de réguler les pratiques industrielles nuisibles, les belles paroles restent à quai.
Le traité sur la haute mer attend toujours de prendre le large
Adopté en 2023, le traité sur la haute mer (BBNJ) devait marquer un tournant historique pour la protection des océans au-delà des juridictions nationales. À l’UNOC 3, son entrée en vigueur a été saluée… mais repoussée à plus tard.
Un an après son adoption, le traité n’est toujours pas en vigueur, faute d’un nombre suffisant de ratifications. Pourtant, l’urgence est là : la haute mer représente près de la moitié de la surface de la planète, mais reste largement sans protection face à la pêche industrielle, aux projets miniers et à la pollution.
À Nice, les discours ont vanté le BBNJ comme un outil central pour l’objectif 30x30. Mais sans volonté politique forte, moyens financiers et mise en œuvre rapide, ce traité risque de rester au port, pendant que les pressions sur l’océan s’intensifient.
Le traité plastique, l’ambition sous pression
À l’UNOC 3, le futur traité mondial contre la pollution plastique était également au cœur des discussions. Mais si l’urgence d’agir fait consensus, les négociations piétinent.
Pollution plastique : quelques chiffres qui dérangent
- 430 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année dans le monde.
- Environ 11 millions de tonnes finissent dans l’océan chaque année, soit 1 camion-poubelle par minute.
- Moins de 10 % du plastique mondial est réellement recyclé.
- Plus de 800 espèces marines sont affectées par la pollution plastique (ingestion, enchevêtrement, toxicité).
- La production de plastique pourrait tripler d’ici 2060 si aucune mesure forte n’est prise.
Objectif affiché du traité en discussion : réduire drastiquement la production de plastique à la source. Mais plusieurs pays producteurs et lobbies industriels freinent, préférant miser sur le recyclage plutôt que sur la réduction. Résultat : les ambitions s’édulcorent, tandis que 11 millions de tonnes de plastique continuent d’entrer chaque année dans l’océan.
Pour qu’un traité ambitieux voie le jour d’ici fin 2025, les États doivent sortir de l’ambiguïté : défendre l’intérêt public ou protéger un modèle économique polluant…
Et les droits de l’océan ? Toujours pas reconnus.
À l’UNOC 3, la question des droits de l’océan, celui d’exister, de se régénérer, d’être protégé, a été portée par la société civile, mais est restée largement absente des engagements officiels dont la déclaration finale de l’UNOC.
« L’océan n’est pas une ressource, c’est un être vivant. Et comme tout être vivant, il a des droits. » Nainoa Thompson, navigateur hawaïen et défenseur des savoirs autochtones marins
Alors que l’océan est au cœur de la stabilité climatique et de la vie sur Terre, il reste considéré avant tout comme une ressource à exploiter, non comme un système vivant à défendre en tant que tel. Aucune reconnaissance juridique internationale des droits de l’océan n’a été actée, malgré les appels croissants d’ONG dont Wild legal, de scientifiques et de peuples autochtones.
Protéger l’océan, ce n’est pas seulement limiter les dégâts : c’est reconnaître qu’il a une valeur propre, indépendamment de son utilité économique. Sans ce changement de regard, les traités resteront incomplets, et les océans, vulnérables.